April 28. 2024. 12:57

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De-risking: Alternative stratégique ou multiplication de risques ?


Pour y voir clair, il est essentiel de comprendre l’enjeu qui sous-tend ce nouveau terme et d’en avoir une vision juste.

Le spectre de la méfiance derrière le « de-risking »

Quand on parle de « de-risking », on fait a priori allusion à la dépendance économique de l’Europe par rapport à la Chine, une situation préoccupante aux yeux des Européens, qui s’engagent désormais à rendre leurs chaînes d’approvisionnement plus résilientes. Un choix bien compréhensible, mais à relativiser tout de même.

En effet, un rapport européen montre que moins de 1% des importations européennes en provenance de la Chine peuvent réellement être qualifiées de « fortement dépendantes ». Et il est important de voir que la dépendance est mutuelle, l’exemple le plus illustratif étant celui de la fabrication des semi-conducteurs, technologie plus indispensable que jamais pour l’industrie moderne.

Or, la Chine ne le voit jamais comme une menace. La dépendance elle-même n’est pas dangereuse. Ce qui est dangereux, c’est de la militariser, et de définir un partenaire fiable et de bonne foi comme un « risque à éliminer ».

Certes, le « de-risking » se veut plus prudent et modéré que le « découplage », mais la méfiance qui le sous-tend n’a pas varié. Cela est d’autant plus inquiétant que Washington continue de créer une surenchère autour d’un éventuel conflit armé dans le détroit de Taiwan. Le climat de méfiance a toujours été dangereux dans les relations internationales, dans la mesure où il crée souvent, de manière auto-réalisatrice, une forme d’accélération de l’histoire dans la direction la moins souhaitable possible.

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Un euphémisme qui cache mal la vraie intention de Washington

En effet, derrière cette nouvelle rhétorique se cache la tentative inchangée des États-Unis d’enrôler leurs alliés dans la nouvelle guerre froide qu’ils veulent engager avec la Chine. En assimilant Pékin à un « risque à éliminer », ils incitent leurs alliés à passer d’un « découplage » forcé avec la Chine à une sorte de « désinisation » volontaire. L’approche de Washington ne s’est donc point écartée de son obsession malsaine de maintenir la suprématie américaine dans le monde.

L’Union européenne est-elle condamnée à être suiviste des États-Unis ? Faut-il encore poursuivre l’autonomie stratégique ? Le narratif dominant est tel que le simple fait de poser ces questions suscite des accusations de l’« équidistance ». Or, si la « non-équidistance » signifie l’alignement, il y a quelque chose qui ne va pas. C’est une question de bon sens, et ce sont les intérêts fondamentaux de l’Europe qui sont en jeu.

Et n’oublions pas que la fiabilité du « protectorat américain » reste sujette aux aléas de la politique intérieure américaine. Zbigniew Brzezinski, conseiller du président Carter, a confié un jour que « même si le président des États-Unis dit que nous ne ferons pas telle ou telle chose dans des circonstances hypothétiques, ne le croyez pas, parce que lui-même n’en sait rien ». Quelles que soient les « valeurs communes » à défendre, l’Europe a tout intérêt à raisonner stratégiquement et ne pas mettre son propre destin entre les mains des autres, ne serait-ce que pour les intérêts économiques de ses citoyens.

Difficile à trouver des gagnants

D’un point de vue économique, démondialiser l’économie ou construire une « petite cour avec de hauts murs », comme ce que font les États-Unis, n’est qu’une porte de sortie on ne peut plus fausse. Le « de-risking » est aussi une contradiction en ce sens qu’il augmente précisément les risques majeurs.

Il y en a trois qui se dessinent déjà.

D’abord, le conflit entre les intérêts des entreprises et ceux des gouvernements, et donc le risque de perturbation du bon fonctionnement du marché. Le PDG de Nvidia a mis en garde contre les « énormes dégâts » que pourraient subir les entreprises américaines si on les empêchait de vendre des puces de pointe à la Chine.

Le conseiller américain à la sécurité, conscient du coût d’opportunité élevé du « de-risking » pour les alliés ayant des relations commerciales étendues avec la Chine, le considère pourtant comme un investissement indispensable pour « garantir la sécurité de tous ».

Enfin, le risque pour la croissance mondiale. Le Vice-Premier Ministre singapourien a fait remarquer qu’« une économie mondiale fragmentée diviserait le monde en blocs régionaux concurrents. Il y aurait moins d’échanges commerciaux, moins d’investissements, moins de diffusion d’idées — autant de facteurs qui ont été essentiels pour nos progrès économiques ». Selon les estimations du FMI, le scénario où les pays seraient contraints de choisir un camp devrait coûter à long terme 7% du PIB mondial.

La Chine est aujourd’hui le plus grand partenaire commercial de plus de 140 pays et régions. Aux yeux de la grande majorité des pays, la Chine, qui n’a jamais militarisé sa puissance économique pour soumettre les autres, n’est pas du tout un « risque », mais une opportunité. Comme en témoigne le titre d’un article de la Brookings Institution : « Quel pays considérerait la croissance économique de la Chine comme un risque en soi ? »

Le succès de la Chine n’aurait pas été possible sans la largeur d’esprit, la vision de long terme et surtout, le courage de se lancer dans l’inconnu. Victor Hugo n’a-t-il pas aussi dit qu’« il faut, pour la marche en avant du genre humain, qu’il y ait sur les sommets, en permanence, de fières leçons de courage ».

Le « de-risking », c’est le statu quo contre l’initiative, le conservatisme contre le progrès, le protectionnisme contre l’ouverture. C’est tout le contraire de l’ADN de l’Europe qui a toujours su apporter sa lumière à l’humanité.

Méfions-nous de la manipulation et privilégions toujours le dialogue, outil magique pour résoudre les désaccords.

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